L’intégration des systèmes d’intelligence artificielle dans la pratique juridique


Depuis plusieurs décennies, l’imaginaire humain fantasme sur l’idée que la technologie a potentiellement le pouvoir de devancer la race humaine comme en reflète la littérature avec Ie Robot d’ Isaac Asimov et le cinéma avec 2001 : A Space Odyssey de Stanley Kubrick. La création de systèmes d’intelligence artificielle tel que ChatGPT soulève question de savoir jusqu’où le domaine du droit peut-il être affecté et/ou révolutionné par ces nouveaux outils?


Le 14 septembre dernier, le juge Colin Birss de la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles a déclaré publiquement qu’il avait utilisé ChatGPT dans le cadre d’une rédaction d’un jugement. Cette déclaration faite à the Law Society’s Dispute Resolution Conference a fait réagir le vaste univers du droit autour du monde. Afin de remettre sa déclaration en contexte, le juge Birss, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle, a affirmé que ChatGPT n’avait été utilisé uniquement pour résumer un domaine du droit spécifique. Étant déjà en pleine connaissance de la réponse, il a alors demandé à ChatGPT de lui faire un résumé afin de voir s’il en était capable. Le juge Birss a été surpris d’observer que la réponse du logiciel d’intelligence artificielle était pertinente et il a décidé de l’intégrer dans son jugement. Il est important de noter aussi que le juge a pris la complète responsabilité du texte généré par ChatGPT et qu’en aucun cas il n’a voulu induire en erreur le système judiciaire. Il a par la suite décrit ChatGPT comme un outil « jolly useful » et a notamment été impressionné par la rapidité à laquelle le résumé a été rédigé par le logiciel.
Le juge anglais a aussi fait part de son avis sur l’intelligence artificiel et le potentiel de ces outils pour le droit : « I think what is of most interest is that you can ask these large language models to summarise information. It is useful and it will be used and I can tell you, I have used it. ».


Cependant, une certaine vigilance doit toujours préconiser l’utilisation de l’intelligence artificielle car la précision des logiciels d’IA tel que ChatGPT est encore approximative. En juin dernier, deux avocats new yorkais, Steven A. Schwartz et Peter LoDuca, ont dû payer une amende de 5000$ à cause d’une mémoire juridique remplie d’erreurs rendu à un juge. En effet, les deux avocats avaient utilisé ChatGPT pour leurs recherches jurisprudentielles et ont cité dans leur mémoire juridique une demi-douzaine de jugements n’ayant jamais eu lieu. Cet exemple illustre le danger que ChatGPT et d’autres logiciels d’IA peuvent présenter pour le domaine du droit si des précautions ne sont pas prises par les avocats ou les magistrats qui les utilisent. Cet événement survenu à New York a généré beaucoup de critiques quant à l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le cadre du droit. Historiquement parlant, ce sont les changements les plus importants qui engendrent le plus de critiques. Bien que n’ayant pu physiquement observer l’impact du développement d’internet sur le domaine du droit, je ne peux qu’imaginer les opinions divergentes qui ont pu être exprimées dans les années1990 à ce sujet. Quelle que soit l’opinion de chacun sur ce sujet, il est indéniable que l’intelligence artificielle va transformer toutes sortes de pratiques professionnelles. Les secteurs qui seront le plus protégés contre cette vague technologique sont les secteurs où le « facteur humain » est le plus important. Bien que les professions de magistrats et d’avocats ne soient pas entièrement remplaçables par des systèmes d’intelligence artificielle, je suis d’avis que leur pratique peut être transformée de manière radicale par ces systèmes.


Depuis le début de mon baccalauréat en droit, un sujet récurrent abordé dans la majorité des cours est l’engorgement des tribunaux et les problèmes qui en résultent. L’intelligence artificielle peut être une solution à ce problème qui, avec le temps, ne fait que s’aggraver. En automatisant certains jugements portant sur des dossiers à sens unique, les systèmes d’intelligences artificielles ont le potentiel d’amener une bouchée d’air frais aux tribunaux et aux magistrats. Si ChatGPT a réussi à résumer un domaine du droit spécifique, pourquoi ne serait-il pas possible pour ce logiciel de rendre une décision de justice sur une affaire basique? Bien que l’impact de ces systèmes sur le métier d’avocat diffère de celui qu’ils peuvent avoir sur le métier de juge, l’intelligence artificielle pourrait révolutionner la profession d’avocat. Au cours d’un stage au sein d’un cabinet parisien cet été, j’ai eu le privilège d’entendre le sentiment d’un avocat avec plus de 25 ans de carrière sur ce sujet. Selon lui, les avocats deviendront progressivement des centaures, mi-humain mi-robot et les avocats qui arriveront a maîtrisé le plus habilement ces nouveaux outils de travail auront l’opportunité d’anéantir leur compétition. Ses propos ainsi que la métaphore du centaure sont, selon moi, pertinents étant donné l’importance de l’efficacité dans le monde du droit. Un système performant d’intelligence artificielle donnerait l’opportunité pour les avocats indépendants ainsi que les « grands bureaux d’avocats » d’augmenter leurs nombres d’heures facturables tout en diminuant leurs prix par heure. En diminuant leur coût grâce à un système d’intelligence artificielle, l’avantage compétitif serait considérable. On parle ici d’une optimisation considérable pour tous les cabinets du
monde; un réel façonnage du métier d’avocat en général.

Ce contenu a été mis à jour le 28 novembre 2023 à 19 h 11 min.

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